Page:Coppée - Œuvres complètes, Poésies, t3, 1888.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

 
C’est ainsi, cependant, ô ma chère petite !
Le logis où, depuis plus de quinze ans, j’habite,
Est près de la maison dans laquelle, jadis.
Pauvre et naïve enfant du peuple, tu grandis.
Toi, qui, par la chaleur de tes lèvres si douces,
As fait sur mon vieux cœur fleurir de jeunes pousses,
— Tel au soleil d’Octobre un arbre faubourien, —
Près de moi, tu vivais ; — et je n’en savais rien !…
Dire que j’ai souvent mené ma flânerie,
Par les soirs de printemps bons pour la rêverie,
Dans la paisible rue aux jardins odorants
Où tu m’as confié que logeaient tes parents ;
Et que cette gamine aux pieds fins, droite et maigre,
Qui sautait à la corde, en criant : « Du vinaigre ! »
Et qui s’interrompait avec un peu d’humeur
Pour laisser le passage au distrait promeneur,
C’était peut-être toi vers ta dixième année,
Toi que j’ai cent fois vue et jamais devinée !…
La cruelle pensée !… Et dire que plus tard,
Dans ce même quartier, sur ce long boulevard,
Où, par les nuits de Juin, par les nuits étoilées,
Le petit monde prend le frais sous les allées,
Nous nous sommes croisés, sans doute, plus d’un soir,
Moi, rêveur absorbé qui regardais sans voir,
Toi, fille de seize ans, mise en apprentissage,