Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t1, 1892.djvu/298

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Il vécut, étonné, dans ce groupe de prisonniers, tous très jeunes et négligemment vêtus, qui parlaient à voix haute et portaient la tête d’une façon si solennelle ; ils se réunissaient dans la cellule du plus âgé d’entre eux, garçon d’une trentaine d’années, incarcéré depuis longtemps déjà et comme installé à Sainte-Pélagie ; une grande cellule, tapissée de caricatures coloriées, et par la fenêtre de laquelle on voyait tout Paris, ses toits, ses clochers et ses dômes, et là-bas, la ligne lointaine des coteaux, bleue et vague sur le ciel. Il y avait aux murailles quelques planches chargées de volumes et tout un vieil attirail de salle d’armes : masques crevés, fleurets rouillés, plastrons et gants perdant leur étoupe. C’est là que les politiques dînaient ensemble, ajoutant à l’immuable « soupe et le bœuf », des fruits, du fromage, et des litres de vin que Jean-François allait acheter à la cantine : repas tumultueux, interrompus de violentes disputes, où l’on chantait en chœur au dessert la Carmagnole et le Ça ira ! On prenait cependant un air de dignité, les jours où l’on faisait place à un nouveau venu, traité d’abord gravement de citoyen, mais dès le lendemain tutoyé et appelé par son petit nom. Il se disait là des grands mots : Corporation, Solidarité,