Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t3, 1890.djvu/346

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

A présent, elle revoyait par le souvenir le joli profil de l’ouvrière, son air de réserve, sa grâce naturelle. Non ! cette petite n’était ni laide, ni vulgaire. Elle pouvait plaire, être aimée. Cette pensée remplissait de rage la mère au cœur exigeant, la veuve autrefois dédaignée par son mari. Elle détestait Henriette comme une ennemie, comme une rivale.

Alors, pendant quelques instants, Mme Bernard des Vignes, la femme pieuse et bien élevée, qui avait vécu dans le monde et brillé jadis à la cour, redevint la sauvage paysanne des maquis de Sartène, la fille du vieil Antonini, et sentit courir dans ses veines le sang corse, le sang brûlé de rancune et prompt à la vendetta. Si, par impossible, elle avait vu paraître à ses yeux, en ce moment, la maîtresse de son fils, elle se serait jetée sur elle comme une bête furieuse ; et lui aurait balafré le visage d’une croix au stylet.

Ce désir affreux la réveilla en sursaut, pour ainsi dire. Elle le chassa avec horreur, eut dégoût et pitié d’elle-même. Puis elle pensa tout à coup à son fils avec une soudaine indulgence, une faiblesse toute maternelle. Elle avait été trop sévère. Il faut que jeunesse se passe. Son Armand