Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/23

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Si j’avais, comme lui, tout un mont pour soutien.
Si mes deux pieds trempaient dans la source des choses,
Si l’Aurore humectait mes cheveux de ses roses,
Si mon cœur recelait toute la paix du tien ;

Si j’étais un grand chêne avec la sève pure,
Pour tous ainsi que toi, bon, riche, hospitalier,
J’abriterais l’abeille et l’oiseau familier
Qui, sur ton front touffu, répandent le murmure ;

Mes feuilles verseraient l’oubli sacré du mal,
Le sommeil, à mes pieds, monterait de la mousse ;
Et là viendraient tous ceux que la cité repousse
Écouter ce silence où parle l’idéal.

Nourri par la nature, au destin résignée,
Des esprits qu’elle aspire et qui la font rêver,
Sans trembler devant lui, comme sans le braver.
Du bûcheron divin j’attendrai la cognée.

Cette ivresse, cette exaltation du poète devant la nature ont trompé des critiques superficiels ; ils ont cru y discerner un penchant vers le panthéisme mystique, vers cet espoir vague, mais passionné, de s’unir â Dieu dans les choses, de s’ensevelir ainsi, de s’anéantir dans son sein. M. de Laprade a été très sensible à cette accusation, car elle offensait ses plus chères croyances. Mais son œuvre est là qui proteste. Jamais, dans ses plus complètes extases, dans les heures où il unit plus intimement son âme à l’univers, il n’oublie celui qui en est l’auteur ; jamais dans ses vers la personne humaine ne cesse d’être distincte de la personne divine, dont le monde est l’ouvrage et dont les spectacles les plus enchanteurs ne sont que la manifestation. Il y a, dans les doctrines panthéistes, une très