Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/24

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séduisante et, par conséquent, très dangereuse embûche tendue à notre raison pour la faire choir dans l’adoration de la matière. L’auteur d’Hermia, — je cite à dessein le titre de ce poème, le plus mystique de tous ceux de M. de Laprade, — n’y est point tombé. Sa pensée se mêle un moment à la Création, mais pour remonter aussitôt vers le Créateur : elle est pareille à l’eau du Ciel, qui est absorbée par la terre, mais pour reparaître bientôt dans le flot des sources, dont le murmure est une prière, dans la rosée des fleurs, dont le parfum est un encens.

Les Poèmes évangéliques, ainsi que les recueils qui les suivirent, prouvèrent d’ailleurs que le besoin de solitude du poète avait été sans danger pour sa foi chrétienne, que le démon du doute n’était pas venu le tenter dans ses retraites au désert, et qu’il n’y avait pas été pris, comme les gymnosophistes de l’Inde, par le dégoût de la vie et par le vertige du néant. Maintenant, c’est Dieu, toujours Dieu, qu’il adore dans la nature ; il garde pour elle le même ardent amour, mais, sous toutes ses apparences, il ne cesse de voir distinctement l’idéal divin ; il lui emprunte des symboles, mais à l’imitation de Celui qui parlait si délicieusement sur la montagne des lis des champs et des oiseaux du ciel. De par son pouvoir de magicien lyrique, il prête une voix aux glaciers et aux torrents, il anime les chênes et les roses ; mais toute cette symphonie n’éclate que pour la plus grande gloire du Maître vivant et créateur et monte tout droit vers le ciel. Sacrifiant sur les hauts lieux et oubliant peut-être un peu trop l’humanité qui s’agite et souffre dans les vallées, M. de Laprade approche alors, autant que le permet le siècle,