Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/47

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Ce ne sont pas les rochers et les torrents qui vous ont inspiré vos premiers vers, et vous n’avez jamais dit : « Je suis le fils du granit et des manoirs !... Les chênes de cent ans sont trop jeunes pour moi. » C’est une plante adorable que la renoncule glaciale qu’on cueille sur les hautes cimes, en grattant la neige ; mais il ne faut pas dédaigner, comme une espèce trop vulgaire, la joubarbe qui pousse parmi les mousses des toits ou le coquelicot bien rouge, qui sonne sa fanfare sur la crête d’une vieille muraille effritée. Vous n’avez jamais pensé qu’il n’y eut de beau que le rare, et vous avez découvert de bonne heure que les choses les plus communes ont une grâce de nouveauté pour qui sait les voir.

D’ailleurs, quand il vous plaisait de rêver le voyage au long cours, vous aviez le Musée de marine. Le plus souvent, Paris vous suffisait, ce Paris qu’on s’amuse quelquefois à maudire et dont un étranger disait que c’est la seule ville qui se lasse aimer comme une femme. Vous ne ressentiez pas pour elle une demi-tendresse, vous l’avez chantée en amoureux. Mais ce qui vous attirait le plus, ce n’étaient pas ces grandes places et ses grandes rues, le Paris des hôtels et des palais, des oisifs et des riches. Vous proveniez vos rêveries dans les plus tristes quartiers, jusque dans ces terrains vagues qui se terminent aux bastions gazonnés des remparts, paysages ingrats, mais dont l’ingratitude a du caractère et je ne sais quel haut goût dans la laideur. Il vous arrivait de pousser plus loin vos aventures, de vous échapper dans la banlieue, où de doux spectacles vous attendaient. Un gai cabaret entre deux champs de blé, un vieux mur où pendait encore