Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/48

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quelque lambeau d’affiche, les éternels joueurs de bouchon en manche de chemise, les bals en plein vent, les balançoires qui grincent, les pissenlits frissonnant dans un coin, voilà ce que virent en s’ouvrant les yeux gris de votre muse et ce que vous avez su rendre en traits ineffaçables. Vous ne craignez pas de l’avouer, — quand vous avez vu plus tard l’Océan et les Alpes, le regret des bords de la Seine vous suivait partout, et vous disiez :

 
Je rêve d’un faubourg plein d’enfance et de jeux,
D’un coteau tout pelé d’où ma muse s’applique
À noter les tons fins d’un ciel mélancolique,
D’un bout de Bièvre, avec quelques champs oubliés,
Où l’on tend une corde aux troncs des peupliers,
Pour y faire sécher la toile et la flanelle,
Ou d’un coin pour pêcher dans l’Ile de Grenelle.

Vous avez raison, on ne se lasse pas de noter les tons fins du ciel de Paris. Il en est de plus chauds et de plus brillants ; mais, dans ses beaux jours, il a des douceurs incomparables, et les peintres le savent bien.

Ceux qui ont un goût exclusif pour les grands sujets comme pour les paysages héroïques, ceux qui s’imaginent que la poésie ne doit accorder l’entrée de son divin royaume qu’aux grandes choses et aux êtres rares, exceptionnels, ont pu apprendre de vous que les petites choses et les petits hommes y acquièrent facilement le droit de cité. Plus d’un poète, plus d’un romancier professent un souverain mépris pour le bourgeois et ne s’occupent de lui que pour célébrer ses ridicules. S’ils consentaient à faire leur examen de conscience, ces superbes contempteurs du bourgeois seraient forcés d’avouer qu’ils en tiennent, et qu’en le