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tragédie ; vous voilà dans la néceſſité ou de vous manquer à vous-même, ou de manquer à ma femme, vous n’avez que l’option. Je ſavois d’avance combien cet argument auroit de force ſur ſon eſprit. Il réfléchit un moment, & prenant le livre, donnez, me dit-il, je le lirai.

Mes lecteurs s’appercevront, sans doute, combien il importe de raconter un fait tel qu’il s’eſt paſſé & avec toutes ſes circonſtances, pour pouvoir en tirer de juſtes conſéquences ſur celui qu’ils veulent connoître. Il m’avertit que l’air eſt fait, & que, ſuivant la première convention, ma femme ſe donne la peine de venir pour l’entendre & l’approuver ou le rejeter, attendu qu’en cas de rejet, il s’étoit engagé à le faire trois fois. Il l’avoit fait, dans ce moment, double, il s’agiſſoit du choix. J’y menai ma femme, la moins impoſante de toutes les femmes, & ſur-tout dans cette occaſion, puiſqu’elle-même est d’une timidité exceſſive. Il ſe mit devant ſa petite épinette, mais dans un tel état que ſes doigts trembloient ſur les touches, & que ſa voix ne pouvoit ſe faire un paſſage ; il touſſoit, ſoupiroit & s’agitoit, en nous aſſurant que cela ne tarderoit pas à ſe paſſer. Il parvint, en effet, à chanter ſes