Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/146

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sans embarras, et qui ne soient point emportés par la chaleur de l’action.

La seconde utilité du poème dramatique se rencontre en la naïve peinture des vices et des vertus, qui ne manque jamais à faire son effet, quand elle est bien achevée, et que les traits en sont si reconnaissables qu’on ne les peut confondre l’un dans l’autre, ni prendre le vice pour vertu. Celle-ci se fait alors toujours aimer, quoique malheureuse ; et celui-là se fait toujours haïr, bien que triomphant. Les anciens se sont fort souvent contentés de cette peinture, sans se mettre en peine de faire récompenser les bonnes actions, et punir les mauvaises. Clytemnestre et son adultère tuent Agamemnon impunément ; Médée en fait autant de ses enfants, et Atrée de ceux de son frère Thyeste, qu’il lui fait manger. Il est vrai qu’à bien considérer ces actions qu’ils choisissaient pour la catastrophe de leurs tragédies, c’étaient des criminels qu’ils faisaient punir, mais par des crimes plus grands que les leurs. Thyeste avait abusé de la femme de son frère ; mais la vengeance qu’il en prend a quelque chose de plus affreux que ce premier crime. Jason était un perfide d’abandonner Médée, à qui il devait tout ; mais massacrer ses enfants à ses yeux est quelque chose de plus. Clytemnestre se plaignait des concubines qu’Agamemnon ramenait de Troie ; mais il n’avait point attenté sur sa vie, comme elle fait sur la sienne ; et ces maîtres de l’art ont trouvé le crime de son fils Oreste, qui la tue pour venger son père, encore plus grand que le sien, puisqu’ils lui ont donné des Furies vengeresses pour le tourmenter, et n’en ont point donné à sa mère, qu’ils font jouir paisiblement avec son Egisthe du royaume d’un mari qu’elle avait assassiné.

Notre théâtre souffre difficilement de pareils sujets : le Thyeste