Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/150

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pas une entière justesse pour le nôtre, où les rois même y peuvent entrer, quand leurs actions ne sont point au-dessus d’elle. Lorsqu’on met sur la scène un simple intrique d’amour entre des rois, et qu’ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur État, je ne crois pas que, bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d’État, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour, telles que sont l’ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d’une maîtresse. Il est à propos d’y mêler l’amour, parce qu’il a toujours beaucoup d’agrément, et peut servir de fondement à ces intérêts, et à ces autres passions dont je parle ; mais il faut qu’il se contente du second rang dans le poème, et leur laisse le premier.

Cette maxime semblera nouvelle d’abord : elle est toutefois de la pratique des anciens, chez qui nous ne voyons aucune tragédie où il n’y ait qu’un intérêt d’amour à démêler. Au contraire, ils l’en bannissaient souvent ; et ceux qui voudront considérer les miennes, reconnaîtront qu’à leur exemple je ne lui ai jamais laissé y prendre le pas devant, et que dans le Cid même, qui est sans contredit la pièce la plus remplie d’amour que j’aie faite, le devoir de la naissance et le soin de l’honneur l’emportent sur toutes les tendresses qu’il inspire aux amants que j’y fais parler.

Je dirai plus. Bien qu’il y ait de grands intérêts d’État dans un poème, et que le soin qu’une personne royale