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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/160

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DISCOURS

rendu dans le sens d’Aristote par les interprètes latins que j’ai suivis. Pacius[1] le tourne desides ; Victorius[2], inertes ; Heinsius[3], segnes ; et le mot de fainéants, dont je me suis servi pour le mettre en notre langue, répond assez à ces trois versions ; mais Castelvetro[4] le rend en la sienne par celui de mansueti, « débonnaires ou pleins de mansuétude ; » et non-seulement ce mot a une opposition plus juste à celui de colères, mais aussi il s’accorderait mieux avec cette habitude qu’Aristote appelle ἐπειείκειαν, dont il nous demande un bel exemplaire. Ces trois interprètes traduisent ce mot grec par celui d’équité ou de probité, qui répondrait mieux au mansueti de l’Italien[5] qu’à leurs segnes, desides, inertes, pourvu qu’on n’entendît par là qu’une bonté naturelle, qui ne se fâche que malaisément : mais j’aimerais mieux encore celui de piacevolezza[6], dont l’autre

  1. Dans l’édition de Jules Pacius, l’adjectif ῥᾳθύμους est traduit par socordes; c’est Alexandre Paccius qui l’a rendu par desides ; c’est donc de ce dernier que Corneille veut ici parler, bien qu’il ait écrit le nom par un seul c. Nous avons nommé ces deux philologues un peu plus haut (p. 33, fin de la note de la p. 32). Le second, Alexandre Paccius, après avoir revu le texte de la Poétique d’Aristote sur trois manuscrits, en avait fait une traduction latine, qu’il termina en 1527, mais à laquelle la mort l’empêcha de mettre la dernière main. Son travail fut publié par Guillaume, son fils, sous le titre suivant : Aristoretis Poetica, per Alexandrvm Paccivm, patritivm florentinvm in latinvm, conversa. Aldus, m.d.xxxvi, in-8°.
  2. Pierre Vettori, l’un des meilleurs critiques de son temps, né a Florence en 1499, est auteur de commentaires fort estimés sur la Rhétorique, la Poétique (1573), la Politique et la Morale d’Aristote.
  3. Daniel Heinsius, philologue hollandais, publia en 1611, à Leyde, une édition de la Poétique d’Aristote, avec un traité De constitutione tragica secundum Aristotelem.
  4. Louis Castelvetro, célèbre critique italien, né au commencement du seizième siècle, auteur d’une traduction et d’un commentaire de la Poétique d’Aristote, publiés a Vienne en 1570.
  5. De Castelvetro, le seul de ces philologues qui ait traduit la Poétique en italien.
  6. « Douceur affable. »