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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/221

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DE LA TRAGÉDIE.

au vraisemblable dans la liaison des actions, et leur dépendance l’une de l’autre. Je pense m’être déjà assez expliqué là-dessus ; je n’en dirai pas davantage.

Le but du poëte est de plaire selon les règles de son art. Pour plaire, il a besoin quelquefois de rehausser l’éclat des belles actions et d’exténuer l’horreur des funestes. Ce sont des nécessités d’embellissement où il peut bien choquer la vraisemblance particulière par quelque altération de l’histoire, mais non pas se dispenser de la générale, que rarement, et pour des choses qui soient de la dernière beauté, et si brillantes, qu’elles éblouissent. Surtout il ne doit jamais les pousser au-delà de la vraisemblance extraordinaire, parce que ces ornements qu’il ajoute de son invention ne sont pas d’une nécessité absolue, et qu’il fait mieux de s’en passer tout à fait que d’en parer son poëme contre toute sorte de vraisemblance. Pour plaire selon les règles de son art, il a besoin de renfermer son action dans l’unité de jour et de lieu ; et comme cela est d’une nécessité absolue et indispensable, il lui est beaucoup plus permis sur ces deux articles que sur celui des embellissements.

Il est si malaisé qu’il se rencontre dans l’histoire ni dans l’imagination des hommes quantité de ces événements illustres et dignes de la tragédie, dont les délibérations et leurs effets puissent arriver en un même lieu et en un même jour, sans faire un peu de violence à l’ordre commun des choses, que je ne puis croire cette sorte de violence tout à fait condamnable, pourvu qu’elle n’aille pas jusqu’à l’impossible. Il est de beaux sujets où on ne la peut éviter ; et un auteur scrupuleux se priveroit d’une belle occasion de gloire, et le public de beaucoup de satisfaction, s’il n’osoit s’enhardir à les mettre sur le théâtre, de peur de se voir forcé à les faire aller plus vite que la vraisemblance ne le permet. Je lui donnerois en