Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/222

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ce cas un conseil que peut-être il trouverait salutaire : c’est de ne marquer aucun temps préfix dans son poème, ni aucun lieu déterminé où il pose ses acteurs. L’imagination de l’auditeur aurait plus de liberté de se laisser aller au courant de l’action, si elle n’était point fixée par ces marques ; et il pourrait ne s’apercevoir pas de cette précipitation, si elles ne l’en faisaient souvenir, et n’y appliquaient son esprit malgré lui. Je me suis toujours repenti d’avoir fait dire au Roi, dans le Cid, qu’il voulait que Rodrigue se délassât une heure ou deux après la défaite des Maures avant que de combattre don Sanche : je l’avais fait pour montrer que la pièce était dans les vingt-quatre heures ; et cela n’a servi qu’à avertir les spectateurs de la contrainte avec laquelle je l’y ai réduite. Si j’avais fait résoudre ce combat sans en désigner l’heure, peut-être n’y aurait-on pas pris garde.

Je ne pense pas que dans la comédie le poète ait cette liberté de presser son action, par la nécessité de la réduire dans l’unité de jour. Aristote veut que toutes les actions qu’il y fait entrer soient vraisemblables, et n’ajoute point ce mot : ou nécessaires, comme pour la tragédie. Aussi la différence est assez grande entre les actions de l’une et celles de l’autre. Celles de la comédie partent de personnes communes, et ne consistent qu’en intriques d’amour et en fourberies, qui se développent si aisément en un jour, qu’assez souvent, chez Plaute et chez Térence, le temps de leur durée excède à peine celui de leur représentation ; mais dans la tragédie les affaires publiques sont mêlées d’ordinaire avec les intérêts particuliers des personnes illustres qu’on y fait paraître ; il y entre des batailles, des prises de villes, de grands périls, des révolutions d’États ; et tout cela va