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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/228

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DISCOURS

qu’à neuf ou dix. Je ne rapporterai que deux exemples du mépris qu’ils en ont fait : l’un est de Sophocle dans l’Ajax, dont le monologue, avant que de se tuer, n’a aucune liaison avec la scène qui le précède, ni avec celle qui le suit ; l’autre est du troisième acte de l’Eunuque de Térence, où celle d’Antiphon seul n’a aucune communication avec Chrémès et Pythias, qui sortent du théâtre quand il y entre. Les savants de notre siècle, qui les ont pris pour modèles dans les tragédies qu’ils nous ont laissées, ont encore plus négligé cette liaison qu’eux ; et il ne faut que jeter l’œil sur celles de Buchanan[1], de Grotius[2] et de Heinsius[3] dont j’ai parlé dans l’examen de Polyeucte, pour en demeurer d’accord. Nous y avons tellement accoutumé nos spectateurs, qu’ils ne sauroient plus voir une scène détachée sans la marquer pour un défaut : l’œil et l’oreille même s’en scandalisent avant que l’esprit y aye pu faire de réflexion. Le quatrième acte de Cinna demeure au-dessous des autres par ce manquement ; et ce qui n’étoit point une règle autrefois l’est devenu maintenant par l’assiduité de la pratique.

  1. George Buchanan, poëte et historien, né en 1506 à Kilkerne, en Écosse, mort à Édimbourg, le 28 septembre 1582, est auteur de deux tragédies latines : un Jephté qu’il dédia en 1554 au maréchal de Brissac, et qui fut traduit par Pierre Brinon, conseiller au Parlement de Normandie, et divisé par lui en sept actes, et un Saint Jean-Baptiste.
  2. Grotius, dont le véritable nom est Hugues de Groot, né à Delft le 10 avril 1583 et mort dans la nuit du 28 au 29 août 1645, est célèbre comme érudit et comme publiciste. Il a écrit trois tragédies latines : la première sur la chute d’Adam, Adamus exsul ; la seconde sur la Passion, Christus patiens ; la troisième sur l’élévation de Joseph, Sophompaneas, c’est-à-dire le Sauveur du monde.
  3. Daniel Heinsius, illustre philologue, né à Gand en 1580, mort à Leyde le 23 février 1665, est auteur d’un Herodes infanticida, vivement critiqué par Balzac, mais qui n’en fut pas moins fort admiré.