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DES TROIS UNITÉS.

J’ai parlé de trois sortes de liaisons dans cet examen de la Suivante : j’ai montré aversion pour celles de bruit, indulgence pour celles de vue, estime pour celles de présence et de discours ; et dans ces dernières j’ai confondu deux choses qui méritent d’être séparées. Celles qui sont de présence et de discours ensemble ont sans doute toute l’excellence dont elles sont capables ; mais il en est de discours sans présence, et de présence sans discours, qui ne sont pas dans le même degré. Un acteur qui parle à un autre d’un lieu caché, sans se montrer, fait une liaison de discours sans présence, qui ne laisse pas d’être fort bonne ; mais cela arrive fort rarement. Un homme qui demeure sur le théâtre, seulement pour entendre ce que diront ceux qu’il y voit entrer, fait une liaison de présence sans discours, qui souvent a mauvaise grâce, et tombe dans une affectation mendiée, plutôt pour remplir ce nouvel usage qui passe en précepte, que pour aucun besoin qu’en puisse avoir le sujet. Ainsi dans le troisième acte de Pompée, Achorée, après avoir rendu compte à Charmion de la réception que César a faite au Roi quand il lui a présenté la tête de ce héros, demeure sur le théâtre, où il voit venir l’un et l’autre, seulement pour entendre ce qu’ils diront, et le rapporter à Cléopatre. Ammon[1] fait la même chose au quatrième d’Andromède, en faveur de Phinée, qui se retire à la vue du Roi et de toute sa cour, qu’il voit arriver. Ces personnages qui deviennent muets lient assez mal les scènes, où ils ont si peu de part qu’ils n’y sont comptés pour rien. Autre chose est quand ils se tiennent cachés pour s’instruire de quelque secret

  1. Dans les éditions publiées par Pierre Corneille on lit ici et un peu plus loin, au lieu de ce nom, celui de Timante, autre personnage d’Andromède ; mais c’est par suite d’une confusion évidente. Elle n’a pas échappé à Thomas Corneille ; en 1692 il a corrigé ce passage, et son texte a été suivi par tous les éditeurs.