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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/386

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CLITANDRE.

semble que le ciel ne vous a fait naître prince qu’afin d’ôter au Roi la gloire de choisir votre personne, et d’établir votre grandeur sur la seule reconnoissance de vos vertus. Aussi, Monseigneur, ces considérations m’auroient intimidé, et ce cavalier n’eût jamais osé vous aller entretenir de ma part[1], si votre permission ne l’en eût autorisé, et comme assuré que vous l’aviez en quelque sorte d’estime, vu qu’il ne vous étoit pas tout à fait inconnu. C’est le même qui par vos commandements vous fut conter, il y a quelque temps, une partie de ses aventures, autant qu’en pouvoient contenir deux actes de ce poëme encore tous informes, et qui n’étoient qu’à peine ébauchés. Le malheur ne persécutoit point encore son innocence, et ses contentements dévoient être en un haut degré, puisque l’affection, la promesse et l’autorité de son prince lui rendoient la possession de sa maîtresse presque infaillible : ses faveurs toutefois ne lui étoient point si chères que celles qu’il recevoit de vous ; et jamais il ne se fût plaint de sa prison, s’il y eût trouvé autant de douceur qu’en votre cabinet. Il a couru de grands périls durant sa vie, et n’en court pas de moindres à présent que je tâche à le faire revivre. Son prince le préserva des premiers ; il espère que vous le garantirez des autres, et que comme il l’arracha du supplice qui l’alloit perdre, vous le défendrez de l’envie, qui a déjà fait une partie de ses efforts à l’étouffer. C’est, Monseigneur, dont vous supplie très-humblement celui qui n’est pas moins par la force de son inclination que par les obligations de son devoir,

MONSEIGNEUR,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Corneille.
  1. Les mots : « de ma part » ne sont que dans l’édition de 1632.