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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/438

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CLITANDRE.

Sur son esprit crédule obtient un tel pouvoir.
Toutefois plus j’y songe, et plus je pense voir,
Par quelque grand effet de vengeance divine,
En ce foible témoin l’auteur de ma ruine :
635Son indice douteux, pour peu qu’il ait de jour,
N’éclaircira que trop mon forfait à la cour.
Simple ! j’ai peur encor que ce malheur m’avienne[1],
Et je puis éviter ma perte par la sienne !
Et mêmes on diroit qu’un autre tout exprès
640Me garde mon épée au fond de ces forêts :
C’est en ce lieu fatal qu’il me le faut conduire ;
C’est là qu’un heureux coup l’empêche de me nuire.
Je ne m’y puis résoudre : un reste de pitié[2]
Violente mon cœur à des traits d’amitié ;
645En vain je lui résiste, et tâche à me défendre
D’un secret mouvement que je ne puis comprendre :
Son âge, sa beauté, sa grâce, son maintien.
Forcent mes sentiments à lui vouloir du bien ;
Et l’air de son visage a quelque mignardise
650Qui ne tire pas mal à celle de Dorise.
Ah ! que tant de malheurs m’auroient favorisé.
Si c’étoit elle-même en habit déguisé !
J’en meurs déjà de joie, et mon âme ravie[3]
Abandonne le soin du reste de ma vie.
655Je ne suis plus à moi, quand je viens à penser
À quoi l’occasion me pourroit dispenser[4].
Quoi qu’il en soit, voyant tant de ses traits ensemble,
Je porte du respect à ce qui lui ressemble.
Misérable Pymante, ainsi donc tu te perds !
660Encor qu’il tienne un peu de celle que tu sers,

  1. Var. Simple ! j’ai peur encor que ce malheur m’advienne. (1652, 57 et 60)
  2. Var. Je ne m’y peux résoudre : un reste de pitié. (1632)
  3. Var. J’en pâme déjà d’aise, et mon âme ravie. (1632-60)
  4. Voyez plus haut, p 208, note 2.