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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/461

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ACTE IV, SCÈNE II.

Imprimé dans mon cœur, exprimé dans mes veux,
Quoi que te commandât une âme si cruelle[1],
Devoit être adoré de ta pointe rebelle.
Honteux restes d’amour qui brouillez mon cerveau !
1060Quoi ! puis-je en ma maîtresse adorer mon bourreau[2] ?
Remettez-vous, mes sens ; rassure-toi, ma rage ;
Reviens, mais reviens seule animer mon courage[3] ;
Tu n’as plus à débattre avec mes passions
L’empire souverain dessus mes actions ;
1065L’amour vient d’expirer, et ses flammes éteintes[4]
Ne t’imposeront plus leurs infâmes contraintes.
Dorise ne tient plus dedans mon souvenir
Que ce qu’il faut de place à l’ardeur de punir[5] :

  1. Var. Quoi que te commandât son âme courroucée,
    Devoit être adoré de ta pointe émoussée ;
    Quelque secret instinct te devoit figurer
    Que se prendre à mon œil c’étoit le déchirer.
    Et toi, belle, reviens, reviens, cruelle ingrate,
    Vois comme encor l’amour en ta faveur me flatte.
    Ce poinçon qu’à mon heur j’éprouve si fatal.
    Ce n’est qu’a ton sujet que je lui veux du mal :
    Vois dans ces vains propos, par où mon cœur se venge,
    Moins de blâme pour lui que pour toi de louange (a).
    Tu n’as dans ta colère usé que de tes droits,
    Et ma vie et ma mort dépendant de tes lois,
    Il t’étoit libre encor de m’être plus funeste.
    Et c’est de ta pitié que j’en tiens ce qui reste.
    Reviens, belle, reviens, que j’offre tout blessé
    À tes ressentiments ce que tu m’as laissé.
    Lâche et honteux retour de ma flamme insensée !
    Il semble que déjà ma fureur soit passée,
    Et tous mes sens, brouillés d’un désordre nouveau,
    Au lieu de ma maîtresse adorent mon bourreau. (1632-57)
    (a). Ces quatre vers, à partir de : « Ce poinçon qu’à mon heur, etc., » ne sont que dans l’édition de 1632.
  2. Var. Pourrois-je en ma maîtresse adorer mon bourreau. (1660)
  3. Var. Seule je te permets d’occuper mon courage. (1632-57)
  4. Var. L’amour vient d’expirer, et ses flammes dernières
    S’éteignant ont jeté leurs plus vives lumières. (1632-57)
  5. Var. Que ce qu’il faut de place aux soins de la punir :
    Je n’ai plus de penser qui n’en veuille a sa vie. (1632-57)