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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/543

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ACTE I, SCÈNE V.
CLARICE.

Tu serois assez fin pour bien cacher ton jeu.

PHILISTE.

C’est ce qui ne se peut : l’amour est tout de feu,
345Il éclaire en brûlant, et se trahit soi-même.
Un esprit amoureux, absent de ce qu’il aime[1],
Par sa mauvaise humeur fait trop voir ce qu’il est :
Toujours morne, rêveur, triste, tout lui déplaît ;
À tout autre propos qu’à celui de sa flamme,
350Le silence à la bouche, et le chagrin en l’âme,
Son œil semble à regret nous donner ses regards.
Et les jette à la fois souvent de toutes parts.
Qu’ainsi sa fonction confuse ou mal guidée[2]
Se ramène en soi-même, et ne voit qu’une idée ;
355Mais auprès de l’objet qui possède son cœur,
Ses esprits ranimés reprennent leur vigueur :
Gai, complaisant, actif…

CLARICE.

Gai, complaisant, actif…Enfin que veux-tu dire ?

PHILISTE.

Que par ces actions que je viens de décrire,
Vous, de qui j’ai l’honneur chaque jour d’approcher,
360Jugiez pour quel objet l’amour m’a su toucher[3].

CLARICE.

Pour faire un jugement d’une telle importance.
Il faudroit plus de temps. Adieu : la nuit s’avance.
Te verra-t-on demain ?

PHILISTE.

Te verra- t-on demain ?Madame, en doutez-vous ?
Jamais commandements ne me furent si doux :

  1. Var. L’esprit d’un amoureux, absent de ce qu’il aime. (1634-57)
  2. Var. Qu’ainsi sa fonction confuse et mal guidée. (1634-57)
  3. Var. Jugiez pour quels objets l’amour m’a su toucher. (1634-60)