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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/555

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ACTE II, SCÈNE IV.
CLARICE.

N’oublierez-vous jamais ces termes ravalés,
Pour vous priser de bouche autant que vous valez ?
Seriez-vous bien content qu’on crût ce que vous dites ?
580Demeurez avec moi d’accord de vos mérites ;
Laissez-moi me flatter de cette vanité,
Que j’ai quelque pouvoir sur votre liberté,
Et qu’une humeur si froide, à toute autre invincible,
Ne perd qu’auprès de moi le litre d’insensible :
585Une si douce erreur lâche à s’autoriser ;
Quel plaisir prenez-vous à m’en désabuser ?

PHILISTE.

Ce n’est point une erreur ; pardonnez-moi, Madame,
Ce sont les mouvements les plus sains de mon âme.
Il est vrai, je vous aime, et mes feux indiscrets
590Se donnent leur supplice en demeurant secrets.
Je recois sans contrainte une ardeur téméraire[1] ;
Mais si j’ose brûler, je sais aussi me taire ;
Et près de votre objet, mon unique vainqueur,
Je puis tout sur ma langue, et rien dessus mon cœur.
595En vain j’avois appris que la seule espérance[2]
Entretenoit l’amour dans la persévérance :
J’aime sans espérer, et mon cœur enflammé[3]
A pour but de vous plaire, et non pas d’être aimé.
L’amour devient servile, alors qu’il se dispense
600À n’allumer ses feux que pour la récompense.
Ma flamme est toute pure, et sans rien présumer,
Je ne cherche en aimant que le seul bien d’aimer.

  1. Var. Je reçois sans contrainte un amour téméraire ;
    Mais si j’ose brûler, aussi sais-je me taire. (1634-57)
  2. Var. En vain j’aurois appris que la seule espérance. (1657)
  3. Var. J’aime sans espérer, et je ne me promets
    Aucun loyer d’un feu qu’on n’éteindra jamais.
    L’amour devient servile, alors qu’il se propose
    Le seul espoir d’un prix pour son but et sa cause. (1634)