Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/189

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Pour faire des heureux les choisit d’elle-même.
Elle m’a mis du[1] nombre, et me force à rougir 15
De ne me voir qu’un zèle incapable d’agir.
Son excès dans mon cœur fait des troubles étranges.
Je sais que je te dois des vœux et des louanges,
Que ne t’en pas offrir c’est te les dérober[2] ;
Mais si j’y fais effort, je cherche à succomber, 20
Et le plus beau succès que ma muse en obtienne
Profanera ta gloire et détruira la mienne.
Je veux bien l’immoler toute entière à mon roi ;
Mais si je n’en ai plus, je ne puis rien pour toi[3] ;
Et j’en dois prendre soin, pour éviter le crime 25
D’employer à te peindre un pinceau sans estime.
Il n’est dans tous les arts secret plus excellent
Que d’y voir sa portée et choisir son talent[4] :
Pour moi qui de louer n’eus jamais la méthode,
J’ignore encor le tour du sonnet et de l’ode. 30
Mon génie au théâtre a voulu m’attacher ;
Il en a fait mon fort, il sait m’y retrancher[5] ;
Partout ailleurs je rampe, et ne suis plus moi-même :
Mais là j’ai quelque nom, là quelquefois on m’aime[6] ;
Là ce même génie ose de temps en temps 35

  1. On lit au, pour du, dans les Délices.
  2. Var. Que ne t’en pas donner c’est te les dérober. (Délices.)
  3. Dans les Délices :
    Mais si je n’en ai plus, je n’ai plus rien pour toi,
    leçon très-probablement fautive ; et au vers suivant : Et je dois, variante tout à fait inadmissible.
  4. Granet donne ainsi ce vers, peut-être d’après l’édition de 1669 :
    Que de savoir connoître et choisir son talent.
  5. Granet et tous les éditeurs qui l’ont suivi ont imprimé : mon sort, qui est une faute évidente, et je dois m’y retrancher, qui se trouve peut-être dans l’édition de 1669.
  6. Voyez ci-dessus, pièce XX, p. 65-72 passim.