Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/267

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Frémissent à sa vue et tremblent à son nom :
C’est ce jaloux ingrat, cet insolent Batave,
Qui te doit ce qu’il est[1] et hautement te brave ;
Il te déchire, il arme, il brigue contre toi, 35
Comme s’il n’aspiroit qu’à te faire la loi.
Ne le regarde point dans sa basse origine,
Confiné par mépris aux bords de la marine[2] :
S’il n’y fit autrefois la guerre qu’aux poissons,
S’il n’y connut le fer que par ses hameçons, 40
Sa fierté, maintenant au-dessus de la roue[3],
Méconnoît ses aïeux qui rampoient dans la boue.
C’est un peuple ennobli par cent fameux exploits,
Qui ne veut adorer ni vivre qu’à son choix ;
Un peuple qui ne souffre autels ni diadèmes, 45
Qui veut borner les rois et les régler eux-mêmes ;
Un peuple enflé d’orgueil et gorgé de butin,
Que son bras a rendu maître de son destin ;
Pirate universel, et pour gloire nouvelle

    Africa, cui rutilas America expendit arenas,
    Cujus et ipse jugum placido subit æquore Nereus,
    Ille tibi probris jamdudum infestus et armis
    Imminet, ille Dei dono tibi debitus hostis.
    Nec te humiles ortus, generisque infamia primi
    Avocet incepto : fuerint huic rustica curæ
    Quondam opera, et duræ piscosis amnibus artes ;
    Arma modo, et rigidos intentans undique fasces,
    Imperium in magnum terra grassatur et undis ;
    Nec jam novit avos, audax et ludere regum
    In capita, et belli pacisque imponere leges,

  1. Allusion à la guerre de 1666, où la France s’était alliée avec la Hollande contre l’Angleterre, et qui s’était terminée par la paix de Bréda.
  2. « Le mot de marine, dit Richelet (1679}, se prend quelquefois au même sens que celui de mer. »
  3. Au-dessus, c’est-à-dire au haut, de la roue de Fortune.