Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/336

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Et ce brillant portrait qu’illuminent ses soins
Ne brilleroit pas tant, s’il lui ressembloit moins.
Mais c’est assez, grand Roi, c’est assez de conquêtes :
Laisse à d’autres saisons celles où tu t’apprêtes. 30
Quelque juste bonheur qui suive tes projets,
Nous envions ta vue à tes nouveaux sujets.
Ils bravent tes drapeaux, tes canons les foudroient,
Et pour tout châtiment tu les vois, ils te voient :
Quel prix de leur défaite[1] ! et que tant de bonté 35
Rarement accompagne un vainqueur irrité !
Pour nous, qui ne mettons notre bien qu’en ta vue,
Venge-nous du long temps que nous l’avons perdue :
Du vol qu’ils nous en font viens nous faire raison ;
Ramène nos soleils dessus notre horizon. 40
Quand on vient d’entasser victoire sur victoire,
Un moment de repos fait mieux goûter la gloire ;
Et je te le redis, nous devenons jaloux
De ces mêmes bonheurs qui t’éloignent de nous.
S’il faut combattre encor, tu peux, de ton Versailles, 45
Forcer des bastions et gagner des batailles ;
Et tes pareils, pour vaincre en ces nobles hasards,
N’ont pas toujours besoin d’y porter leurs regards.
C’est de ton cabinet qu’il faut que tu contemples
Quel fruit tes ennemis tirent de tes exemples, 50
Et par quel long tissu d’illustres actions
Ils sauront profiter de tes instructions.
Passez, héros, passez, venez courir nos plaines ;
Égalez en six mois l’effet de six semaines :
Vous seriez assez forts pour en venir à bout, 55
Si vous ne trouviez pas notre grand roi partout.
Partout vous trouverez son âme et son ouvrage,

  1. Corneille a déjà exprimé, mais avec plus d’exagération, une idée analogue. Voyez p. 106, vers 4-6.