Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/292

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ALIDOR.

Angélique ! mes gens vous viennent d’enlever ;
Qui vous a fait sitôt de leurs mains vous sauver ?
Quel soudain repentir, quelle crainte de blâme,
1050Et quelle ruse enfin vous dérobe à ma flamme ?
Ne vous suffit-il point de me manquer de foi,
Sans prendre encor plaisir à vous jouer de moi ?

ANGÉLIQUE.

Que tes gens cette nuit m’ayent vue ou saisie !
N’ouvre point ton esprit à cette fantaisie.

ALIDOR.

1055Autant que l’ont permis les ombres de la nuit[1],
Je l’ai vu de mes yeux.

ANGÉLIQUE.

Je l’ai vu de mes yeux.Tes yeux t’ont donc séduit ;
Et quelque autre sans doute, après moi descendue,
Se trouve entre les mains dont j’étois attendue.
Mais, ingrat, pour toi seul j’abandonne ces lieux,
1060Et tu n’accompagnois ma fuite que des yeux !
Pour marque d’un amour que je croyois extrême[2],
Tu remets ma conduite à d’autres qu’à toi-même !
Je suis donc un larcin indigne de tes mains[3] ?

ALIDOR.

Quand vous aurez appris le fond de mes desseins,
1065Vous n’attribuerez plus, voyant mon innocence,
À peu d’affection l’effet de ma prudence.

ANGÉLIQUE.

Pour ôter tout soupçon et tromper ton rival,
Tu diras qu’il falloit te montrer dans le bal.
Foible ruse !

  1. Var. Autant que m’ont permis les ombres de la nuit. (1637-57)
  2. Var. La belle preuve, hélas ! de ton amour extrême,
    De remettre ce coup à d’autres qu’à toi-même !
    J’étois donc un larcin indigne de tes mains ? (1637-57)
  3. Var. Et je suis un larcin indigne de tes mains ! (1660-64)