Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/294

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ALIDOR.

Nous préserve le ciel d’un pareil désespoir[1] !
Mais votre éloignement n’est plus en mon pouvoir.
J’en ai manqué le coup ; et, ce que je regrette,
1090Mon carrosse est parti, mes gens ont fait retraite.
À Paris, et de nuit, une telle beauté,
Suivant un homme seul, est mal en sûreté :
Doraste, ou par malheur quelque rencontre pire[2],
Me pourroit arracher le trésor où j’aspire :
1095Évitons ces périls en différant d’un jour.

ANGÉLIQUE.

Tu manques de courage aussi bien que d’amour,
Et tu me fais trop voir par ta bizarrerie[3]
Le chimérique effet de ta poltronnerie.
Alidor (quel amant !) n’ose me posséder.

ALIDOR.

1100Un bien si précieux se doit-il hasarder ?
Et ne pouvez-vous point d’une seule journée
Retarder le malheur de ce triste hyménée[4] ?
Peut-être le désordre et la confusion
Qui naîtront dans le bal de cette occasion
1105Le remettront pour vous ; et l’autre nuit, je jure…

ANGÉLIQUE.

Que tu seras encore ou timide ou parjure.
Quand tu m’as résolue à tes intentions,
Lâche, t’ai-je opposé tant de précautions[5] ?

  1. Var. Jugez mieux de ma flamme, et songez, mon espoir,
    Qu’un tel enlèvement n’est plus en mon pouvoir. (1637-57)
  2. Var. Doraste, ou par malheur quelque pire surprise
    De ces coureurs de nuit me feroit lâcher prise :
    De grâce, mon souci, passons encore un jour. (1637-57)
  3. Var. Et tu me fais trop voir par cette rêverie. (1637-57)
  4. Var. Différer le malheur de ce triste hyménée. (1637-57)
  5. Var. Ingrat, t’ai-je opposé tant de précautions ?
    Tu m’aimes, ce dis-tu ? tu le fais bien paroître,