Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tu t’offris par hasard, je t’acceptai de rage ;
1130Je te donnai son bien, et non pas mon courage.
Ce change à mon courroux jetoit un faux appas[1] ;
Je le nommois sa peine, et c’étoit mon trépas :
Je prenois pour vengeance une telle injustice,
Et dessous ses couleurs j’adorois mon supplice.
1135Aveugle que j’étois ! mon peu de jugement
Ne se laissoit guider qu’à mon ressentiment.
Mais depuis, Alidor m’a fait voir que son âme,
En feignant un mépris, n’avoit pas moins de flamme.
Il a repris mon cœur en me rendant les yeux ;
1140Et soudain mon amour m’a fait haïr ces lieux.

DORASTE.

Tu suivois Alidor !

ANGÉLIQUE.

Tu suivois Alidor ! Ta funeste arrivée,
En arrêtant mes pas, de ce bien m’a privée ;
Mais si…

DORASTE.

Mais si…Tu le suivois !

ANGÉLIQUE.

Mais si…Tu le suivois !Oui : fais tous tes efforts ;
Lui seul aura mon cœur, tu n’auras que le corps.

DORASTE.

1145Impudente, effrontée autant comme traîtresse,
De ce cher Alidor tiens-tu cette promesse ?
Est-elle de sa main, parjure ? De bon cœur
J’aurois cédé ma place à ce premier vainqueur ;
Mais suivre un inconnu ! me quitter pour Cléandre !

ANGÉLIQUE.

Pour Cléandre !

  1. Var. Ce change à mon dépit jetoit un faux appas (a). (1637-57)

    (a) Corneille ne distingue pas par l’orthographe appât (appâts) et appas, dont nous faisons deux mots. Il écrit appas’dans tous les sens, tant au singulier qu’au pluriel.