Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/338

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Cléonice

Hélas ! que de tourments accompagnent ces charmes !

Et qu’un peu de douceur nous va coûter de larmes !

Il me faut donc te perdre, et, dans le même lieu

Où j’ai reçu ton cœur, recevoir ton adieu !

Sanglots, qui de la voix me fermiez le passage,

Jusques à cet adieu permettez-m’en l’usage,

Et lorsque, le soleil ayant fini son tour,

Les flambeaux d’Hyménée éteindront ceux d’Amour,

Etouffez, j’y consens, cet objet déplorable

Des plus âpres rigueurs d’un sort impitoyable.

Philène, ainsi ma mort dégagera ta foi :

Ton cœur pourra brûler pour un autre que moi ;

Tu pourras obéir sans me faire d’injure :

J’aime sans inconstance et change sans parjure.

Aglante

Un père veut forcer un cœur à vous trahir,

Et vous croyez ce cœur capable d’obéir !

Ah ! que vous jugez mal d’une amitié si forte !

Si notre espoir est mort, ma flamme n’est pas morte :

La naissance n’a point d’assez puissantes lois

Pour me faire manquer à ce que je vous dois ;

Recevez de nouveau la foi que je vous donne,

D’être à jamais à vous, ou de n’être à personne.

Cléonice

Hélas ! en quel état le malheur nous réduit !

Faut-il d’un tel amour n’espérer point de fruit !

Aglante

Aimons-nous et souffrons : aimé de ce qu’on aime,

On trouve des plaisirs dans la souffrance même,

Cléonice

Aimons-nous et souffrons : deux cœurs si bien d’accord

Trouveraient des plaisirs dans les coups de la mort.

Aglante

Résolus à mourir, qu’avons-nous plus à craindre ?

Cléonice

Mourant avec plaisir, qu’avons-nous plus à plaindre ?