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MÉDÉE


À MONSIEUR P. T. N. G.[1]

Monsieur,

Je vous donne Médée, toute méchante qu’elle est, et ne vous dirai rien pour sa justification. Je vous la donne pour telle que vous la voudrez prendre, sans tâcher à prévenir ou violenter vos sentiments par un étalage des préceptes de l’art, qui doivent être fort mal entendus et fort mal pratiqués quand ils ne nous font pas arriver au but que l’art se propose. Celui de la poésie dramatique est de plaire, et les règles qu’elle nous prescrit ne sont que des adresses pour en faciliter les moyens au poète, et non pas des raisons qui puissent persuader aux spectateurs qu’une chose soit agréable quand elle leur déplaît. Ici vous trouverez le crime en son char de triomphe, et peu de personnages sur la scène dont les mœurs ne soient plus mauvaises que bonnes ; mais la peinture et la poésie ont cela de commun, entre beaucoup d’autres choses, que l’une fait souvent de beaux portraits d’une femme laide, et l’autre de belles imitations d’une action qu’il ne faut pas imiter. Dans la portraiture, il n’est pas question si un visage est beau, mais s’il ressemble ; et dans la poésie, il ne faut pas considérer si les mœurs sont vertueuses, mais si elles sont pareilles à celles de la personne qu’elle introduit. Aussi nous décrit-elle indifféremment les bonnes et les mauvaises actions,

  1. On ignore complètement qui ces initiales désignent. Dans l’impression de 1657, l’ordre est un peu différent : « À Monsieur P. T. G. N. » Cette épître dédicatoire n’est que dans les éditions antérieures à 1660.