Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/502

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488 L’ILLUSION.

 Mais en vain après toi l’on me laisse le jour ;
Je veux perdre la vie en perdant mon amour :
Prononçant ton arrêt, c’est de moi qu’on dispose ;
Je veux suivre ta mort, puisque j’en suis la cause,
Et le même moment verra par deux trépas
Nos esprits amoureux se rejoindre là-bas.
Ainsi, père inhumain, ta cruauté déçue
De nos saintes ardeurs verra l’heureuse issue ;
Et si ma perte alors fait naître tes douleurs,
Auprès de mon amant je rirai de tes pleurs.
Ce qu’un remords cuisant te coûtera de larmes
D’un si doux entretien augmentera les charmes ;
Ou s’il n’a pas assez de quoi te tourmenter,
Mon ombre chaque jour viendra t’épouvanter,
S’attacher à tes pas dans l’horreur des ténèbres,
Présenter à tes yeux mille images funèbres,
Jeter dans ton esprit un éternel effroi,
Te reprocher ma mort, t’appeler après moi,
Accabler de malheurs ta languissante vie,
Et te réduire au point de me porter envie.
Enfin…


Puisque, loin de punir ceux qui t’ont attaqué,
Les lois vont achever le coup qu’ils ont manqué !
Tu fusses mort alors, mais sans ignominie :
Ta mort n’eût point laissé ta mémoire ternie ;
On n’eût point vu le foible opprimé du puissant,
Ni mon pays souillé du sang d’un innocent,
Ni Thémis endurer l’indigne violence
Qui pour l’assassiner emprunte sa balance (a).
Hélas ! et de quoi sert à mon cœur enflammé (b)
D’avoir fait un beau choix et d’avoir bien aimé,
Si mon amour fatal te conduit au supplice
Et m’apprête à moi-même un mortel précipice ?
Car en vain après toi l’on me laisse le jour. (1639-60)

(a) Qui pour t’assassiner emprunte sa balance. (1648 et 60)
(b) De quoi sert à mon cœur si vivement charmé. (1660)