Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/530

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516 L’ILLUSION.

Et néglige ta vie aussi bien que mes larmes.
Penses-tu que ce prince, après un tel forfait,
Par ta punition se tienne satisfait ?
Qui sera mon appui lorsque ta mort infâme
À sa juste vengeance exposera ta femme,
Et que sur la moitié d’un perfide étranger
Une seconde fois il croira se venger ?
Non, je n’attendrai pas que ta perte certaine
Puisse attirer sur moi les restes de ta peine,
Et que de mon honneur, gardé si chèrement,
Il fasse un sacrifice à son ressentiment.
Je préviendrai la honte où ton malheur me livre,
Et saurai bien mourir, si tu ne veux pas vivre.
Ce corps, dont mon amour t’a fait le possesseur,
Ne craindra plus bientôt l’effort d’un ravisseur.
J’ai vécu pour t’aimer, mais non pour l’infamie
De servir au mari de ton illustre amie.
Adieu ; je vais du moins, en mourant avant toi,
Diminuer ton crime, et dégager ta foi.

Clindor.

Ne meurs pas, chère épouse, et dans un second change
Vois l’effet merveilleux où ta vertu me range.
xx M’aimer malgré mon crime, et vouloir par ta mort
Éviter le hasard de quelque indigne effort !
Je ne sais qui je dois admirer davantage,
Ou de ce grand amour, ou de ce grand courage ;
Tous les deux m’ont vaincu : je reviens sous tes lois,
Et ma brutale ardeur va rendre les abois ;
C’en est fait, elle expire, et mon âme plus saine
Vient de rompre les nœuds de sa honteuse chaîne.
Mon cœur, quand il fut pris, s’étoit mal défendu :
Perds-en le souvenir.

1. Var. Attire encor sur moi les restes de ta peine. (1639-57)
2. Var. Adieu : je vais du moins, en mourant devant toi. (1639-57)