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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/113

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EXAMEN.

Les funérailles du Comte étoient encore une chose fort embarrassante, soit qu’elles se soient faites avant la fin de la pièce, soit que le corps aye demeuré en présence dans son hôtel, attendant qu’on y donnât ordre[1]. Le moindre mot que j’en eusse laissé dire, pour en prendre soin, eut rompu toute la chaleur de l’attention, et rempli l’auditeur d’une fâcheuse idée. J’ai cru plus à propos de les dérober à son imagination par mon silence, aussi bien que le lieu précis de ces quatre scènes du premier acte dont je viens de parler ; et je m’assure que cet artifice m’a si bien réussi, que peu de personnes ont pris garde à l’un ni à l’autre, et que la plupart des spectateurs, laissant emporter leurs esprits à ce qu’ils ont vu et entendu de pathétique en ce poëme, ne se sont point avisés de réfléchir sur ces deux considérations.

J’achève par une remarque sur ce que dit Horace, que ce qu’on expose à la vue touche bien plus que ce qu’on n’apprend que par un récit[2].

C’est sur quoi je me suis fondé pour faire voir le soufflet que reçoit don Diègue, et cacher aux yeux la mort du Comte, afin d’acquérir et conserver à mon premier acteur l’amitié des auditeurs, si nécessaire pour réussir au

  1. Scudéry revient à deux reprises sur ce point : « Rodrigue y paroît d’abord (dans le troisième acte) chez Chimène, avec une épée qui fume encore du sang tout chaud qu’il vient de faire répandre à son père ; et par cette extravagance si peu attendue, il donne de l’horreur à tous les judicieux qui le voient, et qui savent que ce corps est encore dans la maison. » Fautes remarquées, p. 22.) — « Rodrigue vient en plein jour revoir Chimène… Si je ne craignois de faire le plaisant mal à propos, je lui demanderois volontiers s’il a donné de l’eau bénite en passant à ce pauvre mort qui vraisemblablement est dans la salle. » (P. 27.)
  2. Segnius irritant animos demissa per aurem,
    Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus
    (Art poétique, vers 180 et 181.)