Je m’en tiens trop heureux, et mon âme est ravie
Que mon coup d’essai plaise à qui je dois la vie ;
Mais parmi vos plaisirs ne soyez point jaloux
Si je m’ose à mon tour satisfaire après vous[1].
Souffrez qu’en liberté mon désespoir éclate ;
Assez et trop longtemps votre discours le flatte.
Je ne me repens point de vous avoir servi ;
Mais rendez-moi le bien que ce coup m’a ravi.
Mon bras, pour vous venger, armé contre ma flamme,
Par ce coup glorieux m’a privé de mon âme ;
Ne me dites plus rien ; pour vous j’ai tout perdu :
Ce que je vous devois, je vous l’ai bien rendu.
Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire[2] :
Je t’ai donné la vie, et tu me rends ma gloire ;
Et d’autant que l’honneur m’est plus cher que le jour,
D’autant plus maintenant je te dois de retour.
Mais d’un cœur magnanime éloigne ces foiblesses[3] ;
Nous n’avons qu’un honneur, il est tant de maîtresses[4] !
L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir[5].
Ah ! que me dites-vous ?
- ↑ Var. Si j’ose satisfaire à moi-même après vous. (1637-60)
- ↑ Var. Porte encore plus haut le fruit de ta victoire. (1637-56)
- ↑ Var. Mais d’un si brave cœur éloigne ces foiblesses. (1637-56)
- ↑ Les maximes de ce genre sur la facilité avec laquelle on remplace un amant ou une maîtresse sont fréquentes dans le théâtre de Corneille :
En la mort d’un amant vous ne perdez qu’un homme,
Dont la perte est facile à réparer dans Rome.
(Horace, acte IV, scène III.)
Vous trouverez dans Rome assez d’autres maîtresses.(Polyeucte, acte II, scène I.) - ↑ Var. L’amour n’est qu’un plaisir, et l’honneur un devoir. (1637-56)
Qu’étant sorti de vous je ne pouvois pas moins.
Je me tiens trop heureux, et mon âme est ravie (a’). (1637-56)
(a) Où fut l’indigne affront que ton courage efface. (1637 in-4o I.)
(a’) L’édition de 1644 in-4o porte : « et mon âme ravie. »