Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/183

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Et qu’il marque à tous ceux qui vivent sous mes lois
Et ce que tu me vaux, et ce que je te dois.

Don Rodrigue.

Que Votre Majesté, Sire, épargne ma honte.
D’un si foible service elle fait trop de conte[1],
Et me force à rougir devant un si grand roi
De mériter si peu l’honneur que j’en reçoi.
Je sais trop que je dois au bien de votre empire,
Et le sang qui m’anime, et l’air que je respire ;
Et quand je les perdrai pour un si digne objet,
Je ferai seulement le devoir d’un sujet.

Don Fernand.

Tous ceux que ce devoir à mon service engage
Ne s’en acquittent pas avec même courage ;
Et lorsque la valeur ne va point dans l’excès,
Elle ne produit point de si rares succès.
Souffre donc qu’on te loue, et de cette victoire
Apprends-moi plus au long la véritable histoire.

Don Rodrigue.

Sire, vous avez su qu’en ce danger pressant,
Qui jeta dans la ville un effroi si puissant,
Une troupe d’amis chez mon père assemblée
Sollicita mon âme encor toute troublée…
Mais, Sire, pardonnez à ma témérité,
Si j’osai l’employer sans votre autorité :
Le péril approchoit ; leur brigade étoit prête ;
Me montrant à la cour, je hasardois ma tête[2] ;
Et s’il falloit la perdre, il m’étoit bien plus doux
De sortir de la vie en combattant pour vous.

  1. Var. D’un si foible service elle a fait trop de conte. (1637 in-12)
  2. Var. Et paroître à la cour eût hasardé ma tête,
    Qu’à défendre l’État j’aimois bien mieux donner,
    Qu’aux plaintes de Chimène ainsi l’abandonner. (1637-56)