Dans leur sang répandu la justice étouffée[1]
Aux crimes du vainqueur sert d’un nouveau trophée :
Nous en croissons la pompe, et le mépris des lois
Nous fait suivre son char au milieu de deux rois.
Quand on rend la justice, on met tout en balance :
On a tué ton père, il étoit l’agresseur ;
Et la même équité m’ordonne la douceur.
Avant que d’accuser ce que j’en fais paroître,
Consulte bien ton cœur : Rodrigue en est le maître,
Et ta flamme en secret rend grâces à ton roi,
Dont la faveur conserve un tel amant pour toi.
Pour moi ! mon ennemi ! l’objet de ma colère !
L’auteur de mes malheurs ! l’assassin de mon père !
De ma juste poursuite on fait si peu de cas
Qu’on me croit obliger en ne m’écoutant pas !
Puisque vous refusez la justice à mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir aux armes ;
C’est par là seulement qu’il a su m’outrager,
Et c’est aussi par là que je me dois venger.
À tous vos cavaliers je demande sa tête[2] :
Oui, qu’un d’eux me l’apporte, et je suis sa conquête ;
Qu’ils le combattent, Sire ; et le combat fini,
J’épouse le vainqueur, si Rodrigue est puni.
Sous votre autorité souffrez qu’on le publie.
Cette vieille coutume en ces lieux établie,
Sous couleur de punir un injuste attentat,