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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/189

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ACTE IV, SCÈNE V.
Don Fernand.

Tu veux qu’en ta faveur nous croyions[1] l’impossible ?
Chimène, ta douleur a paru trop visible[2].

Chimène.

1355Eh bien ! Sire, ajoutez ce comble à mon malheur,
Nommez ma pâmoison l’effet de ma douleur :
Un juste déplaisir à ce point m’a réduite.
Son trépas déroboit sa tête à ma poursuite ;
S’il meurt des coups reçus pour le bien du pays,
1360Ma vengeance est perdue et mes desseins trahis :
Une si belle fin m’est trop injurieuse.
Je demande sa mort, mais non pas glorieuse,
Non pas dans un éclat qui l’élève si haut,
Non pas au lit d’honneur, mais sur un échafaud ;
1365Qu’il meure pour mon père, et non pour la patrie ;
Que son nom soit taché, sa mémoire flétrie.
Mourir pour le pays n’est pas un triste sort ;
C’est s’immortaliser par une belle mort.
J’aime donc sa victoire, et je le puis sans crime ;
1370Elle assure l’État, et me rend ma victime,
Mais noble, mais fameuse entre tous les guerriers,
Le chef, au lieu de fleurs, couronné de lauriers ;
Et pour dire en un mot ce que j’en considère,
Digne d’être immolée aux mânes de mon père…
1375Hélas ! à quel espoir me laissé-je emporter !
Rodrigue de ma part n’a rien à redouter :
Que pourroient contre lui des larmes qu’on méprise ?
Pour lui tout votre empire est un lieu de franchise ;
Là, sous votre pouvoir, tout lui devient permis ;

  1. On lit croyons, pour croyions, dans les éditions de 1637-44 et de 1652-56.
  2. Var. Ta tristesse, Chimène, a paru trop visible.
    chim. Eh bien ! Sire, ajoutez ce comble à mes malheurs,
    Nommez ma pâmoison l’effet de mes douleurs. (1637-56)