Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraît avoir été en correspondance suivie[1]. Ce précieux document, qui nous a été conservé dans les recueils de Conrart, contient, comme ou va le voir, un véritable compte rendu du Cid[2] :

« Je vous souhaiterois ici, pour y goûter, entre autres plaisirs, celui des belles comédies qu’on y représente, et particulièrement d’un Cid qui a charmé tout Paris. Il est si beau qu’il a donné de l’amour aux dames les plus continentes, dont la passion a même plusieurs fois éclaté au théâtre public. On a vu seoir en corps aux bancs de ses loges ceux qu’on ne voit d’ordinaire que dans la Chambre dorée et sur le siège des fleurs de lis[3]. La foule a été si grande à nos portes, et notre lieu s’est trouvé si petit, que les recoins du théâtre qui servoient les autres fois comme de niches aux pages, ont été des places de faveur pour les cordons bleus, et la scène y a été d’ordinaire parée de croix de chevaliers de l’ordre. »

À ce moment l’enthousiasme produit par le Cid était si vif,

  1. Voyez Lettres de Balzac, tome I, p. 420, livre IX, lettre xxii, à M. de Mondory, 15 décembre 1636. Le passage suivant de cette lettre nous montre quelle haute opinion Balzac avait de Mondory : « J’ai plusieurs raisons de vous estimer, et pense le pouvoir faire du consentement de nos plus sévères écoles, puisqu’ayant nettoyé votre scène de toutes sortes d’ordures, vous pouvez vous glorifier d’avoir réconcilié la comédie avec les ***, et la volupté avec la vertu. Pour moi, qui ai besoin de plaisir, et n’en désire pas prendre néanmoins qui ne soit bien purifié et que l’honnêteté ne permette, je vous remercie avec le public du soin que vous avez de préparer de si agréables remèdes à la tristesse et aux autres fâcheuses passions. » Il est permis de penser que les trois étoiles qui se trouvent ici remplacent le mot ecclésiastiques ou le mot prédicateurs. En effet, Chapuzeau, moins réservé que Balzac, nous dit dans son Théâtre françois (p. 141) : « Pourquoi me tairois-je de l’avantage que les orateurs sacrés tirent des comédiens, auprès de qui, et en public, et en particulier, ils se vont former à un beau ton de voix et à un beau geste, aides nécessaires au prédicateur pour toucher les cœurs ? »
  2. Le Comédien Mondory, par Auguste Soulié. Revue de Paris, du 30 décembre 1838.
  3. On appelait Chambre dorée la grand’chambre du Parlement, à cause de son plafond doré. — Être assis sur les fleurs de lis se disait de ceux qui exerçaient quelque charge de judicature royale et surtout