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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/228

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soit dans l’utile correctif des maximes de don Arias sur l’obéissance due au pouvoir absolu des rois.

Vient immédiatement le défi de Rodrigue, imité par Corneille mais avec choix, et avec autant de vigueur que d’élévation. Tout ce qu’il élimine d’incidents accessoires, de mouvements scéniques compliqués, est presque inimaginable dans nos habitudes théâtrales, soit que le théâtre espagnol, ennemi de l’austère simplicité tragique, fût plus exercé à la mise en scène, soit que son public docile se contentât, à peu de frais, de moyens assez grossiers d’illusion.

Il faut supposer complaisamment la place assez grande pour qu’on s’y promène et qu’on y agisse séparément de divers côtés. Le défi et le combat, solitaires dans Corneille, vont avoir le plus de témoins possible. Les dames sont toujours à la fenêtre du palais ; Chimène s’inquiète de l’air irrité de son père, puis s’alarme de la figure pâle de Rodrigue, qui survient en tenue de combat et armé de sa grande épée. Ignorant ce dont il s’agit, l’aimable Infante appelle l’amant de son amie, et l’engage en quelques propos de délicate galanterie qu’il interrompt par des aparté douloureux. C’est bien pis quand le Comte reparaît d’autre part, se promenant avec Peranzules et ses officiers (car il ne se soumet pas à l’ordre du Roi, qui lui a fait signifier de garder les arrêts dans sa maison). Déjà les regards courroucés se croisent de loin : nouvelles alarmes de Chimène ; le trouble de Rodrigue augmente, dans une hésitation qu’il se reproche, et bientôt sur le seuil de sa demeure, apparaît morne et sombre le vieux don Diègue, tournant vers son fils chancelant ses yeux pleins de fureur et sa joue meurtrie. Son ami don Arias l’interroge en vain ; en vain de son côté Peranzules veut détourner le Comte de passer fièrement devant ses ennemis… À ce moment Rodrigue se décide :

« (Pardonne, objet divin, si je vais, mourant, donner la mort !) Comte ! — Qui es-tu ? Par ici ; je veux te dire qui je suis. (Chimène, à part : Qu’est-ce donc ? Ah, je meurs.) — Que me veux-tu ? — Je veux te parler. Ce vieillard qui est là[1], quel est-il, le sais-tu ? Oui-da, je le sais. Pourquoi cette question ? — Pourquoi ? Parle bas[2] ; écoute. — Dis. — Ne sais-tu pas qu’il fut un exemplaire d’honneur et de vaillance ? — Soit. — Et que ce sang dont mes yeux sont rougis[3],

  1. Que está alli, mots qui, dans la citation de Corneille (voyez ci-dessus, p. 201, vers 393), ne laissent pas d’être un peu embarrassants pour le lecteur.
  2. Plus motivé par la situation que dans Corneille.
  3. Par la colère :

    Y que es sangre suya y mia
    la que yo tengo en los ojos,
    sabes ?


    — Voir l’interprétation détournée volontairement sans doute par Corneille,