Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/229

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c’est le sien comme le mien, le sais-tu ? — Et que je le sache (abrège ton propos), qu’en résultera-t-il[1] ? — Passons seulement en un autre lieu, tu sauras tout ce qu’il en doit résulter. — Allons, jeune garçon, est-ce possible ? Va, va, chevalier novice ; va donc, et apprends d’abord à combattre et à vaincre : tu pourras ensuite te faire honneur de te voir vaincu par moi, sans me laisser au regret et de te vaincre et de te tuer. Pour à présent laisse là ton ressentiment ; car ce n’est pas aux vengeances sanglantes que peut réussir l’enfant dont les lèvres sont encore abreuvées de lait. — Non, c’est par toi que je veux commencer à combattre et à m’instruire. Tu verras si je sais vaincre, je verrai si tu sais tuer ; mon épée conduite sans art te prouvera par l’effort de mon bras que le cœur est un maître en cette science non encore étudiée ; et il suffira bien à mon ressentiment de mêler ce lait de mes lèvres et ce sang de ta poitrine. » Vives exclamations de Peranzules, d’Arias, de Chimène, de don Diègue brûlant d’impatience ; car il paraît que Rodrigue a porté la main sur le Comte, soit en lui touchant la poitrine, soit en voulant l’empêcher d’avancer dans la direction qu’il a prise. « Rodrigue : L’ombre de cette demeure est inviolable et fermée pour toi… (Chimène : Quoi, Monsieur, contre mon père !) — Rodrigue : Et c’est pourquoi je ne te tue point présentement. — (Chimène : Écoute-moi) — Rodrigue : (Pardonnez, Madame ; je suis le fils de mon père !) Suis-moi, Comte ! — Le Comte : Adolescent, avec ton orgueil de géant, je te tuerai si tu te places devant moi. Va-t’en en paix : va-t’en, va, si tu ne veux que, comme en certaine occasion j’ai donné à ton père un soufflet, je te donne mille coups de pied. — Rodrigue : Ah, c’en est trop de ton insolence ! » Interruptions rapides des divers témoins. « D. Diègue : Les longs discours émoussent l’épée. » Quand le combat commence, il s’écrie encore : « Mon fils, mon fils, en t’appelant ainsi, c’est mon affront et ma fureur que je t’envoie[2] ! »

On passe en se battant dans la coulisse, d’où le Comte s’écrie : « Je suis mort ! » Chimène a couru éperdue après son père. Mais une mêlée remplit de nouveau le théâtre ; ce sont les gens du Comte réunis

    vers 401 et 402, le sang porté aux yeux par la colère tenant à une locution tout espagnole.

  1. C’est le vrai sens, plutôt que la réplique : Que m’importe (vers 402) ?

    Y el saberlo (acorta — razones) que ha de importar ?

  2. Donnons cet exemple, entre tant d’autres, de la singulière rapidité d’expression si goûtée des Espagnols, qui resterait obscure si elle n’était un peu paraphrasée dans la traduction :

    Hijo, hijo, con mi voz
    te envio ardiendo mi afrenta.