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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/238

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qui ont été annoncés plus haut, à ce motif qui a amené Rodrigue et que Castro a si directement exprimé ?


« Je fais ce que tu veux, mais sans quitter l’envie
De finir par tes mains ma déplorable vie ;
Car enfin n’attends pas de mon affection
Un lâche repentir d’une bonne action.
De la main de ton père un coup irréparable

Déshonoroit du mien la vieillesse honorable[1]. »

Le développement donné à la phrase rend l’unité de trait plus difficile ici et partout ailleurs, mais le spectateur charmé ne remarque pas des sutures adroites, ou des soudures un peu plus forcées, comme ce : Car enfin n’attends pas… ; plus loin : Ce n’est pas qu’en effet[2]… ; et ces minutieuses observations n’empêchent pas le lecteur attentif d’être enlevé par une merveilleuse éloquence, après avoir goûté la beauté simple et plus réduite du motif original.

La réponse de Chimène présente les mêmes qualités, les mêmes défauts si l’on veut. On peut voir à quel point y est amplifié le Como caballero hiciste, et la haute obligation de le poursuivre pour l’acquit de son honneur, exprimée dans l’espagnol en une forme plus féminine. Continuons :


« Hélas ! ton intérêt ici me désespère :

Si quelque autre malheur m’avoit ravi mon père, etc.[3] »

C’est là une idée touchante, exclusivement propre à Corneille, et exprimée en vers admirables, sauf encore la transition : ton intérêt… très-hasardée logiquement, car il ne s’agit guère dans cette plainte que de son intérêt à elle-même :

« j’aurois senti des charmes,
Quand une main si chère eût essuyé mes larmes[4]. »


Puis, pour rentrer dans l’idée dominante d’une vengeance de mort à obtenir, c’est encore, comme transition, le vers :

« Car enfin n’attends pas de mon affection[5], »


répété littéralement du discours précédent de Rodrigue.

  1. Acte III, scène iv, vers 869-874. La fin, depuis : « De la main de ton père, » se lit dans les éditions de 1637 à 1656. L’avant-dernier vers, meilleur que celui qui l’a remplacé à partir de 1660, se rattache enfin au texte cité par Corneille : malheureusement le vers suivant aura paru faible par l’antithèse des mots déshonoroit et honorable : c’est la remarque d’un habile critique (M. Géruzez, Théâtre choisi de Corneille, p. 59).
  2. Acte III, scène iv, vers 879.
  3. Ibidem, vers 917 et suivants.
  4. Ibidem, vers 921 et 922.
  5. Ibidem, vers 927 et 871.