Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/241

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Don Diègue veut que Rodrigue emploie sa valeur au service du Roi :


PaNo dirán que la mano te ha servido
Para vengar agravios solamente :
Sirve en la guerra al Rey, que siempre ha sido
PaDigna satisfaccion de un caballero

Servir al Rey á quien dexó ofendido ;


ce que Corneille eût pu citer en partie, quand il dit :


« Ne borne pas ta gloire à venger un affront ;
Porte-la plus avant : force par ta vaillance

Ce monarque au pardon[1]… »

Don Diègue a amené non loin du lieu où il s’entretient avec Rodrigue cinq cents gentilshommes de sa famille (deudos), montés et armés en guerre, réunis par lui-même pour honorer la disgrâce de son fils exilé (Corneille, placé dans d’autres conditions et au milieu de mœurs différentes, a dû altérer un peu ces données). Tous veulent que Rodrigue les commande :


« Que cada quai tu gusto solicita,

« C’est toi que veut pour chef leur généreuse bande[2]. »

L’ennemi, les Mores de la frontière, vient d’envahir la vieille Castille, les montagnes d’Oca, de Naxera ; c’est l’histoire même. Chacun sait déjà combien il en coûte de frais d’invention et d’anachronisme à Corneille pour sauver ses unités de temps et de lieu en portant la scène à Séville, afin que le reflux du Guadalquivir puisse amener dans les limites voulues une bataille, une campagne de quelques heures.

Rodrigue, pressé d’aller rejoindre sa troupe, demande et reçoit à genoux la bénédiction de son père. L’omission par Corneille de cette noble circonstance résulte bien moins d’une différence de mœurs nationales, que d’une différence entre les deux théâtres : l’espagnol sans cesse sanctifié par des détails sacramentels, le français oblige de s’interdire rigoureusement tout acte, toute parole, qu’on pourrait regarder comme une profanation.

Mais à d’autres égards une invention propre à Corneille lui fournit dans cette scène un motif d’intérêt fort attachant, fort bien placé, qui manque et fait faute chez son devancier. Corneille, on le sait, a supposé l’amour pour Chimène connu dès longtemps du père de Rodrigue. Le rude vieillard a pu n’en pas tenir compte pour exiger le

  1. Acte III, scène vi, vers 1092-1094.
  2. Ibidem, vers 1086.