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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/306

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D’une égale chaleur au combat animées,
Se menaçoient des yeux, et marchant fièrement,
N’attendoient, pour donner, que le commandement,
Quand notre dictateur devant les rangs s’avance,
Demande à votre prince un moment de silence,
Et l’ayant obtenu : « Que faisons-nous, Romains,
Dit-il, et quel démon nous fait venir aux mains[1] ?
Souffrons que la raison éclaire enfin nos âmes :
Nous sommes vos voisins, nos filles sont vos femmes,
Et l’hymen nous a joints par tant et tant de nœuds,
Qu’il est peu de nos fils qui ne soient vos neveux.
Nous ne sommes qu’un sang et qu’un peuple en deux villes :
Pourquoi nous déchirer par des guerres civiles,
Où la mort des vaincus affoiblit les vainqueurs,
Et le plus beau triomphe est arrosé de pleurs[2] ?
Nos ennemis communs attendent avec joie
Qu’un des partis défait leur donne l’autre en proie,
Lassé, demi-rompu, vainqueur, mais, pour tout fruit,
Dénué d’un secours par lui-même détruit.
Ils ont assez longtemps joui de nos divorces ;
Contre eux dorénavant joignons toutes nos forces,
Et noyons dans l’oubli ces petits différends
Qui de si bons guerriers font de mauvais parents.
Que si l’ambition de commander aux autres
Fait marcher aujourd’hui vos troupes et les nôtres,
Pourvu qu’à moins de sang nous voulions l’apaiser,
Elle nous unira, loin de nous diviser.
Nommons des combattants pour la cause commune :
Que chaque peuple aux siens attache sa fortune ;
Et suivant ce que d’eux ordonnera le sort,

  1. « J’ose dire que, dans ce discours imité de Tite Live, l’auteur français est au-dessus du romain, plus nerveux, plus touchant… » (Voltaire.) — Voyez ci-dessus, p. 263-265.
  2. Var. Et le plus beau triomphe est arrousé de pleurs ? (1641 et 55 A.)