Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/328

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JULIE.

Il n’étoit pas besoin d’un si tendre spectacle :
Leur vue à leur combat apporte assez d’obstacle.
LeSitôt qu’ils ont paru prêts à se mesurer,
On a dans les deux camps entendu murmurer[1] :
À voir de tels amis, des personnes si proches,
Venir pour leur patrie aux mortelles approches,
L’un s’émeut de pitié, l’autre est saisi d’horreur,
L’autre d’un si grand zèle admire la fureur ;
Tel porte jusqu’aux cieux leur vertu sans égale,
Et tel l’ose nommer sacrilège et brutale.
Ces divers sentiments n’ont pourtant qu’une voix ;
Tous accusent leurs chefs, tous détestent leur choix ;
Et ne pouvant souffrir un combat si barbare,
On s’écrie, on s’avance, enfin on les sépare.

SABINE.

Que je vous dois d’encens, grands Dieux, qui m’exaucez !

JULIE.

Vous n’êtes pas, Sabine, encore où vous pensez :
Vous pouvez espérer, vous avez moins à craindre ;
Mais il vous reste encore assez de quoi vous plaindre.
MaEn vain d’un sort si triste on les veut garantir ;
Ces cruels généreux n’y peuvent consentir :
La gloire de ce choix leur est si précieuse,
Et charme tellement leur âme ambitieuse,
Qu’alors qu’on les déplore ils s’estiment heureux,
Et prennent pour affront la pitié qu’on a d’eux[2].
Le trouble des deux camps souille leur renommée ;
Ils combattront plutôt et l’une et l’autre armée,

  1. Var. Et l’un et l’autre camp s’est mis à murmurer. (1641-56)
  2. Var. Et prenant pour affront la pitié (a) qu’on a d’eux. (1656)
    ---(a) Il y a piété, au lieu de pitié, dans l’édition de 1656, mais c’est évidemment une erreur.