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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/332

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Scène IV.

SABINE, CAMILLE.
SABINE.

Parmi nos déplaisirs souffrez que je vous blâme :
Je ne puis approuver tant de trouble en votre âme[1] ;
Que feriez-vous, ma sœur, au point où je me vois,
Si vous aviez à craindre autant que je le dois,
Et si vous attendiez de leurs armes fatales
Des maux[2] pareils aux miens, et des pertes égales ?

CAMILLE.

Parlez plus sainement de vos maux et des miens :
Chacun voit ceux d’autrui d’un autre œil que les siens ;
Mais à bien regarder ceux où le ciel me plonge,
Les vôtres auprès d’eux vous sembleront un songe.
LeLa seule mort d’Horace est à craindre pour vous.
Des frères ne sont rien à l’égal d’un époux ;
L’hymen qui nous attache en une autre famille
Nous détache de celle où l’on a vécu fille ;
On voit d’un œil divers des nœuds si différents[3],
Et pour suivre un mari l’on quitte ses parents ;
Mais si près d’un hymen, l’amant que donne un père
Nous est moins qu’un époux, et non pas moins qu’un frère ;
Nos sentiments entre eux demeurent suspendus,
Notre choix impossible, et nos vœux confondus.
Ainsi, ma sœur, du moins vous avez dans vos plaintes
Où porter vos souhaits et terminer vos craintes ;

  1. Var. Je ne puis approuver tant de trouble en notre âme. (1641 in-4o, 48-54 et 56)
    ----Var. Je ne puis approuver tant de trouble en mon âme. (1655 A.)
  2. L’édition de 1641 in-12 donne deux maux, pour des maux : c’est évidemment une erreur.
  3. Var. On ne compare point des nœuds si différents. (1641-56)