Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/351

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Et toi, bientôt souiller par quelque lâcheté
Cette gloire si chère à ta brutalité !

HORACE.

Ô ciel ! qui vit jamais une pareille rage !
Crois-tu donc que je sois insensible à l’outrage,
Que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur ?
Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur,
Et préfère du moins au souvenir d’un homme
Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome.

CAMILLE.

Rome, l’unique objet de mon ressentiment[1] !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n’est assez de toute l’Italie,
Que l’Orient contre elle à l’Occident s’allie ;
Que cent peuples unis des bouts de l’univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux[2]
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre[3],
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !

  1. « Ces imprécations de Camille, dit Voltaire, ont toujours été un beau morceau de déclamation, et ont fait valoir toutes les actrices qui ont joué ce rôle. » Voyez la Notice d’Horace, p. 253 et note i.
  2. Var. Que le courroux du ciel allumé par mes yeux. (1656)
  3. Var. Puissé-je de mes yeux voir tomber cette foudre. (1641-56)