Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/404

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Vous eussiez vu leurs yeux s’enflammer de fureur[1],160
Et dans un même instant, par un effet contraire,
Leur front pâlir d’horreur et rougir de colère[2].
« Amis, leur ai-je dit, voici le jour heureux
Qui doit conclure enfin nos desseins généreux :
Le ciel entre nos mains a mis le sort de Rome,165
Et son salut dépend de la perte d’un homme,
Si l’on doit le nom d’homme à qui n’a rien d’humain,
À ce tigre altéré de tout le sang romain.
Combien pour le répandre a-t-il formé de brigues !
Combien de fois changé de partis et de ligues,170
Tantôt ami d’Antoine, et tantôt ennemi,
Et jamais insolent ni cruel à demi ! »
Là, par un long récit de toutes les misères
Que durant notre enfance ont enduré nos pères,
Renouvelant leur haine avec leur souvenir,175
Je redouble en leurs cœurs l’ardeur de le punir.
Je leur fais des tableaux de ces tristes batailles
Où Rome par ses mains déchiroit ses entrailles,
Où l’aigle abattoit l’aigle, et de chaque côté
Nos légions s’armoient contre leur liberté ;180
Où les meilleurs soldats et les chefs les plus braves[3]

  1. Var. Vous eussiez vu leurs yeux s’allumer de fureur. (1643-56)
  2. On raconte que lorsque Michel Baron reparut au mois de mars 1720, à l’âge de soixante-huit ans, dans le rôle de Cinna, on le vit, dans la même minute, pâlir et rougir comme le vers l’indiquait. — Larive, dans son Cours de déclamation (tome II, p. 6), nie obstinément la possibilité du fait ; il semble toutefois que les comédiens du dix-septième siècle aient eu le secret de pâlir à volonté. Tallemant dit en parlant de Floridor (tome VII, p. 176) : « Il est toujours pâle, ainsi point de changement de visage. »
  3. Var. Où le but des soldats et des chefs les plus brave
    C’étoit d’être vainqueurs pour devenir esclaves (a) ;
    Où chacun trahissoit, aux yeux de l’univers,
    Soi-même et son pays, pour assurer ses fers,
    Et tâchant d’acquérir avec le nom de traître
    L’abominable honneur de lui donner un maître. (1643-56)
    (a) Étoit d’être vainqueurs pour devenir esclaves. (1648-56)