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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/456

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Sauvons-nous, Émilie, et conservons le jour, 1335
Afin de le venger par un heureux retour.

ÉMILIE.

Cinna dans son malheur est de ceux qu’il faut suivre,
Qu’il ne faut pas venger, de peur de leur survivre :
Quiconque après sa perte aspire à se sauver
Est indigne du jour qu’il tâche à conserver. 1340

MAXIME.

Quel désespoir aveugle à ces fureurs vous porte ?
Ô Dieux ! que de foiblesse en une âme si forte !
Ce cœur si généreux rend si peu de combat,
Et du premier revers la fortune[1] l’abat !
Rappelez, rappelez cette vertu sublime ; 1345
Ouvrez enfin les yeux, et connoissez Maxime :
C’est un autre Cinna qu’en lui vous regardez ;
Le ciel vous rend en lui l’amant que vous perdez ;
Et puisque l’amitié n’en faisoit plus qu’une âme,
Aimez en cet ami l’objet de votre flamme ; 1350
Avec la même ardeur il saura vous chérir,
Que…

ÉMILIE.

Que… Tu m’oses aimer, et tu n’oses mourir !
Tu prétends un peu trop ; mais quoi que tu prétendes,
Rends-toi digne du moins de ce que tu demandes :
Cesse de fuir en lâche un glorieux trépas, 1355
Ou de m’offrir un cœur que tu fais voir si bas ;
Fais que je porte envie à ta vertu parfaite ;
Ne te pouvant aimer, fais que je te regrette ;
Montre d’un vrai Romain la dernière vigueur,
Et mérite mes pleurs au défaut de mon cœur. 1360
Quoi ! si ton amitié pour Cinna s’intéresse[2],

  1. Les éditions de 1668 et de 1682 portent, par erreur, de fortune, pour la fortune.
  2. Var. Quoi ! si ton amitié pour Cinna t’intéresse. (1643-56)