Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/465

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Quittent le noble orgueil d’un sang si généreux
Jusqu’à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux[1] ? 1540
Parle, parle, il est temps.

CINNA.

Parle, parle, il est temps. Je demeure stupide ;
Non que votre colère ou la mort m’intimide :
Je vois qu’on m’a trahi, vous m’y voyez rêver,
Et j’en cherche l’auteur sans le pouvoir trouver.
Mais c’est trop y tenir toute l’âme occupée[2] : 1545
Seigneur, je suis Romain, et du sang de Pompée ;
Le père et les deux fils, lâchement égorgés,
Par la mort de César étoient trop peu vengés.
C’est là d’un beau dessein l’illustre et seule cause ;
Et puisqu’à vos rigueurs la trahison m’expose, 1550
N’attendez point de moi d’infâmes repentirs,
D’inutiles regrets, ni de honteux soupirs.
Le sort vous est propice autant qu’il m’est contraire ;
Je sais ce que j’ai fait, et ce qu’il vous faut faire :
Vous devez un exemple à la postérité, 1555
Et mon trépas importe à votre sûreté.

AUGUSTE.

Tu me braves, Cinna, tu fais le magnanime,
Et loin de t’excuser, tu couronnes ton crime.
Voyons si ta constance ira jusques au bout.
Tu sais ce qui t’est dû, tu vois que je sais tout : 1560
Fais ton arrêt toi-même, et choisis tes supplices.

  1. Cedo, si spes tuas solus impedio, Paulusne te et Fabius Maximus et Cossi et Servilii ferent, tantumque agmen nobilium, non inania nomina præferentium, sed eorum qui imaginibus suis decori sunt ? (P. 375.)
  2. Var. Cette stupidité s’est enfin dissipée. (1643-56)