Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/58

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avez bien entrepris une plus longue et plus difficile traduction[1]. Illud multum est primo aspecta oculos occupasse, etiam si contemplatio diligens inventura est quod arguat. Si me interrogas, major ille est qui judicium abstulit quam qui meruit[2]. Votre adversaire y trouve son compte par ce favorable mot de major est ; et vous avez aussi ce que vous pouvez désirer, ne désirant rien, à mon avis, que de prouver que judicium abstulit. Ainsi vous l’emportez dans le cabinet, et il a gagné au théâtre. Si le Cid est coupable, c’est d’un crime qui a eu récompense ; s’il est puni, ce sera après avoir triomphé ; s’il faut que Platon le bannisse de sa république, il faut qu’il le couronne de fleurs en le bannissant, et ne le traite pas plus mal qu’il a traité autrefois Homère. »

Trop attachée à la sévérité des règles, trop soucieuse surtout de complaire aux moindres fantaisies du Cardinal, l’Académie rendit un jugement plus sévère à l’égard de Corneille, et partant plus agréable à Scudéry, qui l’en remercia avec effusion. L’Académie s’empressa de lui faire répondre en ces termes, par l’organe de Chapelain, son secrétaire : « Monsieur, moins la Compagnie que vous avez prise pour arbitre de votre différend a affecté la qualité de juge, plus se doit-elle sentir obligée de la déférence que vous témoignez pour ses Sentiments. Je sais qu’en les donnant au public pour vous satisfaire, sa principale intention a été de tenir la balance droite et de ne faire pas d’une chose sérieuse un compliment ni une civilité ; mais je sais aussi qu’après cette intention, elle n’a essayé de faire rien avec plus de soin que de s’exprimer avec modération et de dire ses raisons sans blesser personne. Je souhaite que vous soyez bien persuadé de cela, ou plutôt je me réjouis de ce que vous l’êtes, et qu’ayant reçu d’elle, en cette rencontre, le moins favorable traitement que vous en puissiez jamais attendre, vous ne laissez pas de lui faire justice en reconnoissant

  1. Les Harangues ou discours académiques de Jean-Baptiste Mangini. Paris, Augustin Courbé, 1642, in-8o.
  2. « C’est beaucoup de s’être emparé des yeux de prime abord, quoique ensuite un examen attentif trouve des critiques à faire. Si tu me demandes mon sentiment, l’homme qui enlève les suffrages est plus grand que celui qui les mérite. » (Épitre c, § 3.)