Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/76

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ployer de meilleures armes que les vôtres pour vous battre. Vous le feignez réduit au déplorable état où vous êtes, et voulez que pour se sauver il s’accroche à tout ce qu’il rencontre. Je ne puis juger que le succès du Cid, et de ses autres pièces, lui ait été si désavantageux, qu’il ait été obligé de se bâtir une réputation sur la ruine de la vôtre, et ne pouvant se sauver que par votre perte, il ait tâché d’obscurcir votre nom qui ne lui donna jamais d’ombrage. Il eût été à plaindre si pour avoir de l’estime, il eût été contraint d’employer de si lâches moyens. S’il a fait profit de son étude, et qu’il ait habillé à la françoise quelque belle pensée espagnole, le devez-vous appeler voleur, et lui faire son procès ? Si la charité vous oblige à l’avertir publiquement de ses défauts, que ne faites-vous justice à vous-même ? Vous passeriez pour corneilles déplumées, si vous aviez retranché de vos ouvrages tout ce que vous avez emprunté des étrangers. Je ne blâme point M. de Scudéry de savoir si bien son cavalier Marin[1]. C’est une source publique où il est permis à tout le monde de boire ; sans lui il ne nous auroit pas fait voir un Prince déguisé[2], qui a passé pour la plus agréable de ses pièces. Le Pastor fido même n’a pas eu moins d’estime dans l’Italie, pour avoir emprunté des pages entières de Virgile. Les livres sont des trésors ouverts à tout le monde, où il est permis de s’enrichir sans être sujet à restitution, non plus que les abeilles qui picorent sur les fleurs. Ce n’est pas qu’il se faille indifféremment charger la mémoire de toutes choses : au contraire, la plus grande partie ne mérite pas d’être lue ; c’est à la raison de faire le choix des bonnes, et M. Corneille les connoît trop pour les aller chercher chez M. Claveret. Je m’étonne de ce que vous le voulez faire passer pour un si célèbre voleur, et que vous le faites arrêter à piller où il y a si peu de butin. Ce n’est pas que je veuille mépriser M. Claveret : au contraire, j’estime ceux qui comme lui s’efforcent à se tirer de la boue, et se veulent élever au-dessus de leur naissance. Mais aussi ne faut-il pas qu’il se donne trop de vanité. Il a

  1. Voyez tome II, p. 22, note 2.
  2. Le Prince déguisé, tragi-comédie de Scudéry, fut représenté en 1635 avec un grand succès. Le spectacle en était fort beau. (Histoire du Théâtre françois par les frères Parfait, tome V, p. 126 et suivantes.)