Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/75

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descendre M. Corneille du lieu où beaucoup d’honnêtes gens l’ont placé, parce que vous n’y pouvez pas monter. Vous l’appelez Icare parce qu’il vole au-dessus de vous. Il vous fera voir à la pièce qu’il prépare, que ses ailes sont assez fortes pour le soutenir, et que n’étant pas de cire, vous n’êtes pas aussi le soleil qui les lui fera fondre. Ce n’est pas de vous qu’il doit attendre le coup mortel. Je croyois qu’après les vains efforts de l’observateur du Cid, personne n’auroit jamais la vanité d’attaquer la renommée de ce fameux ouvrage, et qu’à l’exemple de M. de Scudéry, qui pour tout fruit de ses veilles n’a remporté que le titre d’envieux, tous ceux à qui son éclat fait mal aux yeux seroient sages à l’avenir, et ne s’attireroient plus l’aversion des honnêtes gens par de nouvelles calomnies. Mais peut-être vous êtes-vous cru plus considérable, et qu’après avoir attiré M. Corneille au combat, vous seriez assez puissant pour le ruiner, et faire voir à tous ceux qui ont estimé le Cid, que leur ignorance est la cause de leur approbation, et qu’à vous seul l’aventure étoit due de rompre le charme qui nous silloit les yeux, et nous faire voir la vérité cachée. Après cela, beau lyrique, pouvez-vous accuser un autre de la présomption d’Icare ? Si le Cid n’eût pas été assez fort de lui-même pour soutenir de si foibles assauts que ceux qu’on lui a livrés, et qu’il peut attendre de vous, son auteur l’eût fortifié par un ouvrage digne de lui. Mais le mérite de sa cause avoit trop intéressé d’honnêtes gens à son parti, pour qu’il lui fût nécessaire d’entreprendre sa défense. Ses heures sont trop précieuses au public, puisqu’il les emploie si dignement, pour souhaiter de lui qu’il les perde à vous répondre. Vous êtes de ces ennemis qui emploient la ruse, après avoir eu du désavantage par la force ouverte. Vous feriez un grand coup d’État pour vous autres, si par vos adresses vous obligiez M. Corneille à répondre à M. Claveret, et si par de petites escarmouches vous amusiez un si puissant ennemi ; vous dissiperiez un nuage qui se forme en Normandie, et qui vous menace d’une furieuse tempête pour cet hiver. Cela vous doit être d’autant plus sensible, que votre jugement est assez net pour prévoir votre ruine, et votre esprit trop foible pour l’empêcher. Je trouve un peu étrange la comparaison que vous faites avec lui ; je veux bien m’en servir contre vous-mêmes, n’ayant pas dessein d’em-